Efflorescence

  
 

      

 
POEMES   CHOISIS







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Charles BEAUDELAIRE
(1821-1867), Les fleurs du mal

Elévation

Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par-delà le soleil, par-delà les éthers,
Par-delà les confins des sphères étoilées,
Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde,
Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.

Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides;
Va te purifier dans l'air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.

Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse
S'élancer vers les champs lumineux et sereins;

Celui dont les pensees, comme des alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
- Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes !



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Pierre CORNEILLE


Marquise, si mon visage
A quelques traits un peu vieux,
Souvenez-vous qu'à mon âge
Vous ne vaudrez guère mieux.

 

Le temps aux plus belles choses
Se plaît à faire un affront,
Et saura faner vos roses
Comme il a ridé mon front.

 

Le même cours des planètes
Règle nos jours et nos nuits :
On m'a vu ce que vous êtes;
Vous serez ce que je suis.

 

Cependant j'ai quelques charmes
Qui sont assez éclatants
Pour n'avoir pas trop d'alarmes
De ces ravages du temps.

 

Vous en avez qu'on adore,
Mais ceux que vous méprisez
Pourraient bien durer encore
Quand ceux-là seront usés.

 

Ils pourront sauver la gloire
Des yeux qui me semblent doux,
Et dans mille ans faire croire
Ce qu'il me plaira de vous.

 

Chez cette race nouvelle,
Où j'aurai quelque crédit,
Vous ne passerez pour belle
Qu'autant que je l'aurai dit.

 

Pensez-y, belle Marquise :
Quoiqu'un grison fasse effroi,
Il vaut bien qu'on le courtise,
Quand il est fait comme moi.

 




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Pablo NERUDA


       
            Ne te prives pas d’être heureux

    Il meurt lentement
    celui qui ne voyage pas,
    celui qui ne lit pas,
    celui qui n’écoute pas de musique

    Il meurt lentement
    celui qui détruit son amour-propre,
    celui qui ne se laisse jamais aider,

    Il meurt lentement
    celui qui devient esclave de l’habitude
    refaisant tous les jours les mêmes chemins,
    celui qui ne change jamais de repère,
    ne se risque jamais à changer la couleur de ses vêtements
    ou qui ne parle jamais à un inconnu.

    Il meurt lentement
    celui qui évite la passion,
    et son tourbillon d’émotions
    celles qui redonnent la lumière dans les yeux

    Il meurt lentement
    celui qui ne change pas de cap
    lorsqu’il est malheureux au travail ou en amour,
    celui qui ne prend pas de risques pour réaliser ses rêves,
    celui qui, pas une seule fois dans sa vie,
    n’a fui les conseils sensés.

    Vis maintenant !
    Risque-toi aujourd’hui !
    Agis tout de suite !
    Ne te laisse pas mourir lentement !
    Ne te prive pas d’être heureux !



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Jacques PREVERT


La vie le matin
 

Quand la vie est un collier...
chaque jour est une perle 
Quand la vie est une cage
chaque jour est une larme
Quand la vie est une forêt
chaque jour est un arbre
Quand la vie est un arbre
chaque jour est une branche
Quand la vie est une branche
chaque jour est une feuille...




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Louise LABE

VIII

Je vis, je meurs: je me brûle et me noie,
J'ai chaud extrême en endurant froidure;
La vie m'est et trop molle et trop dure,
J'ai grands ennuis entremélés de joie.

Tout en un coup je ris et je larmoie,
Et en plaisir maint grief tourment j'endure,
Mon bien s'en va, et à jamais il dure,
Tout en un coup je sèche et je verdoie.

Ainsi Amour inconstamment me mène
Et, quand je pense avoir plus de douleur,
Sans y penser je me trouve hors de peine.

Puis, quand je crois ma joie être certaine,
Et être en haut de mon désiré heur,
Il me remet en mon premier malheur.





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RONSARD


Quand vous serez bien vieille…. 
 

Quand vous serez bien vieille, au soir à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz chantant mes vers, en vous émerveillant :
« Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle. »

Lors vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de « Ronsard » ne s’aille réveillant,
Bénissant votre nom, de louange immortelle.
 
Je serai sous la terre et fantôme sans os
 ;
Par les ombres Myrteux je prendrai mon repos
 ;
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
 
Regrettant mon amour, et votre fier dédain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain
 ;
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie.

                                            




Arthur RIMBAUD



Le dormeur du val

 

C'est un trou de verdure où chante une rivière
Accrochant follement aux herbes des haillons
D'argent ; où le soleil, de la montagne fière,
Luit : c'est un petit val qui mousse de rayons.

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,
Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu,
Dort ; il est étendu dans l'herbe, sous la nue,
Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme
Sourirait un enfant malade, il fait un somme :
Nature, berce-le chaudement : il a froid.

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;
Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine
Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

Rimbaud Octobre 1870.

 





Jacques PREVERT


L'école des beaux-arts
 

Dans une boîte de paille tressée
Le père choisit une petite boule de papier
Et il la jette
Dans la cuvette
Devant ses enfants intrigués
Surgit alors
Multicolore
La grande fleur japonaise
Le nénuphar instantané
Et les enfants se taisent
Émerveillés
Jamais plus tard dans leur souvenir
Cette fleur ne pourra se faner
Cette fleur subite
Faite pour eux
A la minute
Devant eux.


 

Guillaume APOLLINAIRE


L'adieu

J'ai cueilli ce brin de bruyère
L'automne est morte souviens-t'en
Nous ne nous verrons plus sur terre
Odeur du temps Brin de bruyère
Et souviens-toi que je t'attends

 

Louis ARAGON



Les mains d'Elsa

 



Que serais-je sans toi

Que serais-je sans toi qui vins à ma rencontre.
Que serais-je sans toi qu'un coeur au bois dormant.
Que cette heure arrêtée au cadran de la montre.
Que serais-je sans toi que ce balbutiement.

J'ai tout appris de toi sur les choses humaines.
Et j'ai vu désormais le monde à ta façon.
J'ai tout appris de toi comme on boit aux fontaines
Comme on lit dans le ciel les étoiles lointaines.
Comme au passant qui chante, on reprend sa chanson.
J'ai tout appris de toi jusqu'au sens de frisson.

J'ai tout appris de toi pour ce qui me concerne.
Qu'il fait jour à midi, qu'un ciel peut être bleu
Que le bonheur n'est pas un quinquet de taverne.
Tu m'as pris par la main, dans cet enfer moderne
Où l'homme ne sait plus ce que c'est qu'être deux.
Tu m'as pris par la main comme un amant heureux.

Qui parle de bonheur a souvent les yeux tristes.
N'est-ce pas un sanglot que la déconvenue
Une corde brisée aux doigts du guitariste
Et pourtant je vous dis que le bonheur existe.
Ailleurs que dans le rêve, ailleurs que dans les nues.
Terre, terre, voici ses rades inconnues.

Louis Aragon, Le roman inachevé

 

Paul ELUARD

Liberté


Sur mes cahiers d'écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J'écris ton nom

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J'écris ton nom

Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J'écris ton nom

Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l'écho de mon enfance
J'écris ton nom

Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J'écris ton nom

Sur tous mes chiffons d'azur
Sur l'étang soleil moisi
Sur le lac lune vivante
J'écris ton nom

Sur les champs sur l'horizon
Sur les ailes des oiseaux
Et sur le moulin des ombres
J'écris ton nom

Sur chaque bouffée d'aurore
Sur la mer sur les bateaux
Sur la montagne démente
J'écris ton nom

Sur la mousse des nuages
Sur les sueurs de l'orage
Sur la pluie épaisse et fade
J'écris ton nom

Sur la vitre des surprises
Sur les lèvres attentives
Bien au-dessus du silence
J'écris ton nom

Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J'écris ton nom

Sur l'absence sans désirs
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J'écris ton nom

Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l'espoir sans souvenir
J'écris ton nom

Et par le pouvoir d'un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté.
 

Edmond ROSTAND

 Le Cafard

Le cafard, mais à tout prendre, qu’est-ce ?
Un souvenir ému, doux comme une caresse,
Un trop timide aveu qu’on voudrait exprimer,
Le futur conjugué du joli verbe aimer
C’est une lèvre en fleur dont on sera l’abeille
Le cœur qu’on croyait mort qui veut ressusciter
Et pour une âme sœur tendrement palpiter,
C’est le secret aussi d’avoir gâté sa vie,
De n’avoir pas compris toute sa poésie,
D’un bonheur qu’on a pas savouré
On aime trop quand est séparé
C’est un ardent désir, une soif exaspérée,
C’est la chanson d’amour, l’éternelle chanson,
Du cafard au baiser il n’y a que fusion,
Le cafard, mes amis, à quoi bon protester,
Le cafard, voyez-vous, c’est le besoin d’aimer.







 
 
 
 
 



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